Les histoires du père Vincent

Carnet à idées


Vous trouverez ici une présentation de mes activités d’enseignement et de recherche. Ce carnet est pour moi une façon de présenter certaines de mes réflexions tant sur des questions pédagogiques que sur des questions de mathématiques ou d’histoire des mathématiques.






Évaluer par compétences au lycée (4 septembre 2022)

L'évaluation par compétences est maintenant assez répandue dans les collèges. Elle s'accompagne souvent du fait de sortir du système de notation sur vingt ou tout au moins de lui donner moins d'importance. Au lycée, pourtant, la notation reste absolument obligatoire, d'autant plus que les notes obtenues durant l'année comptent désormais pour le baccalauréat. Comment, dans ces conditions, peut-on évaluer en terme de compétences afin de leur donner un maximum d'indications sur leurs points forts et leurs points faibles ?

Il existe en fait un certain nombre de ressources, mises en ligne sur les sites d'académie par exemple, permettant d'évaluer les élèves par compétences. Le logiciel ou simplement le tableur peut ensuite convertir l'ensemble des compétences évaluées en une note sur 20 pour chaque élève. Dans la grande majorité des cas, l'expérience de correction devient toutefois assez frustrante. On a rapidement l'impression que corriger se limite à cocher ou à colorier des cases dans un tableur. En général, ces outils ne prévoient pas la possibilité de mettre des commentaires et de justifier pourquoi l'on a mis une pastille verte ou une pastille rouge à un élève. Si l'on veut le faire, il faut donc nécessairement continuer d'écrire des commentaires dans la marge des copies des élèves. Cela allonge significativement le temps de correction et renforce la frustration et l'impression de perte de sens dans la correction.

Aucun outil d'aide à la correction par compétences que j'ai eu l'occasion ne m'a en tout cas réellement satisfait (bien entendu, je ne prétend pas tous les connaître et certains n'ont peut-être pas les défauts que je mentionnais plus haut). C'est pourquoi j'ai décidé de créer mon propre modèle de tableur permettant de corriger par compétences. Le principe est simple : sur la feuille « Classe », il s'agit d'inscrire la liste des questions évaluées, la compétence évaluée pour chaque question ainsi que le barème. Bien entendu, il est par exemple possible d'attribuer une partie des points à une compétence et l'autre partie à une autre. Cela revient d'ailleurs globalement à ce que l'on fait d'habitude, sans toujours réfléchir en terme de compétences. On attribue par exemple 0,5 points pour la mise en équation du problème puis 0,5 points pour la résolution de l'équation et enfin 0,5 points pour la rédaction (l'explicitation d'une notation par exemple). Dans ce cas, il suffira alors d'attribuer 0,5 points pour la compétence modéliser (la mise en équation), 0,5 points pour la compétence calculer (la résolution) et 0,5 points pour la compétence communiquer (rédaction). Ensuite, chaque élève est associée à une feuille du tableur et il suffit alors d'inscrire la note obtenue, question par question. Dans la colonne suivante, il est également possible d'inscrire un commentaire et l'élève a donc toutes les informations sur ce même document. Le tableur calcule alors automatiquement la note de l'élève et affiche un graphique permettant de visualiser le nombre de points obtenus, compétences par compétences. La première feuille « Diagrammes » permet par ailleurs d'afficher un certain nombre de graphiques et de boite à moustaches reprenant les statistiques de toute la classe.

Evaluation 1

Selon moi, l'intérêt d'utiliser un tel fichier est multiple. Il me permet d'évaluer les élèves par compétences tout en leur attribuant une note et cela sans passer plus de temps à corriger. En fait, en faisant des copier-coller lorsque l'on souhaite faire une même remarque à plusieurs élèves (certaines erreurs reviennent souvent...), il est même possible de gagner du temps. Pour ma part, cela me permet de faire des commentaires plus longs et bien plus détaillés que ce que je ferai sur une copie à l'écrit par exemple. D'expérience, je suis moins énervé par une erreur répétée par plusieurs élèves car je sais alors que cela ne me demandera pas beaucoup d'efforts et cela me donne alors davantage l'occasion de me questionner sur l'origine de cette erreur. De même, alors que le fait de recopier quatre fois la même remarque sur une erreur importante peut donner l'impression que « la moitié de la classe n'a rien compris à cette question », faire des copier-coller des commentaires permet de rester plus objectif. Bien entendu, l'intérêt du tableur est également de renseigner la moyenne des élèves pour chaque question, fournissant là aussi, un critère objectif d'évaluation.

De plus, la lecture des résultats compétences par compétences peut se révéler également instructive. Cela est le cas lorsque l'on regarde les résultats de la classe et cela fournit donc des éléments intéressants pour l'enseignant. Cela est également le cas lorsque l'on se penche sur les résultats élèves par élèves. Cela fait parfois ressortir certaines hétérogénéités : un élève par exemple très fort en calcul mais ayant des difficultés dans le raisonnement ou inversement. Sans ce tableur, il serait bien sûr possible de remarquer ce genre de choses lorsqu'elles sont vraiment très prononcées (un élève qui ne sait absolument pas rédiger et qui aura de ce fait de mauvais résultats dans la compétence communiquer). Cependant, il est assez fréquent que l'on ne s’aperçoive pas de ce genre de phénomènes en corrigeant mais qu'ils apparaissent ensuite clairement sur les graphiques. C'est là toute l'utilité d'utiliser ce genre de tableurs.

Il faudrait également ajouter que le fait de réfléchir par compétences permet de mieux concevoir ses sujets d'évaluation. Pour ma part, j'ai toujours été surpris de l'importance de la compétence Calculer si je me permet de faire un sujet « au feeling », alors même que je suis convaincu que ce qui est important en mathématiques n'est sans doute pas de savoir calculer. Ce tableur n'apporte néanmoins pas réellement de plus-value par rapport aux outils déjà existant sur cette question et il s'agit plutôt d'un constat pédagogique qui pourrait par ailleurs être bien plus longuement discuté, ce qui n'est pas l'objectif ici.

Enfin, le fait d'évaluer par compétences permet aussi de mieux pouvoir comparer la progression d'un élève sur un trimestre. Lorsqu'une évaluation sur un sujet d'algèbre suit une évaluation sur un sujet de probabilités, il est parfois difficile de comparer ces évaluations. Le fait de raisonner par compétences rend les comparaisons, n'ont pas automatiques et évidentes mais possibles. C'est pourquoi il m'a semblé intéressant de créer un autre fichier, remis aux élèves à la fin de chaque trimestre et récapitulant l'ensemble des évaluations (présentant là aussi une série de graphiques pour chaque élèves). Pour que cela fonctionne, il suffit en fait de nommer 'evaluation1', 'evaluation2', 'evaluation3', etc. les évaluations successives et d'actualiser les liens du fichier bilan permettant de récupérer l'ensemble des résultats. Là aussi, cela présente des avantages et donne plus d'informations qu'une simple moyenne de fin de trimestre.

Evaluation 2
Evaluation 3

Remarque: Au départ, je n'écrivais rien sur les copies des élèves et ne remplissais que le tableur. Je me suis néanmoins rendu compte qu'il leur était parfois difficile de comprendre exactement où était leur erreur (et malgré les commentaires détaillés que je faisais). J'ai alors simplement décidé d'entourer l'endroit précis où une erreur était commise. Cela rend les commentaires sans doutes plus lisibles et n'accroît pas réellement le temps de correction.

Fichiers à télécharger :

Fichier pour une évaluation

Fichier bilan de l'ensemble des évaluations



Comment travailler la compétence « Modéliser » (31 août 2022)


En mathématiques, entraîner les élèves à modéliser un problème est sans doute, avec la compétence « Chercher », un bon moyen de leur faire percevoir l'intérêt et l'utilité des mathématiques. Personnellement, lorsque j'ai commencé à enseigner en lycée il y a maintenant quatre ans, j'avais très envie de transmettre l'idée que les mathématiques consistent bien plus à résoudre des problèmes qu'à effectuer de longs calculs inutiles. Pourtant, et de manière paradoxale, la première année, j'ai focalisé toute mon attention sur la compétence des élèves en calcul. Il faut dire que j'ai été très surpris par la faiblesse des lycéens dans ce domaine. Assez naïvement, il m'a semblé qu'il fallait d'abord « résoudre ce problème » avant de pouvoir faire réellement des mathématiques. S'il s'agit sans doute d'une stratégie efficace pour certains élèves, il est clair que cela ne convient pas à tout le monde. Car alors, les difficultés en calcul persistant, on ne fait finalement jamais de mathématiques autre que de la résolution d'équations, exact inverse de ce que l'on voulait mettre en place...

Je ne sais pas si beaucoup de collègues débutants font la même erreur. Pour moi, elle s'est en tout cas accompagnée d'une autre erreur. Les évaluations que je donnais contenaient proportionnellement plus de questions pour lesquelles les compétences « chercher » et « modéliser » étaient requises que dans les exercices d’entraînement faits en classe. Naturellement, les élèves ne réussissaient pas ces questions, pas plus que les questions portant sur des questions plus techniques d'ailleurs... A la fin de ma première année d'enseignement, je me suis rendu compte de ces erreurs. Je me suis alors mis à lire beaucoup d'articles de pédagogie et de didactique des mathématiques. En ce qui concerne la question plus spécifique de la modélisation et de la résolution de problèmes, j'ai cherché des documents ressources sur lesquels m'appuyer. J'ai essentiellement trouvé deux types d'activités.

D'une part, il est possible de faire travailler les élèves sur des exercices de type « problèmes ouverts ». Ces activités sont bien souvent très enrichissantes. Elles nécessitent néanmoins pas mal de temps et, pour cela, ne peuvent pas être répétées aussi souvent que l'on pourrait le souhaiter. D'autre part, de nombreux exercices de type « annales de bac » contiennent des questions ayant trait à la modélisation. Il s'agit généralement de la première question où l'élève doit par exemple montrer que « telle quantité vérifie telle équation ». Afin de ne pas pénaliser les élèves qui ne sauraient pas répondre à cette première question, l'équation est bien souvent donnée par l'énoncé et peut être admise pour les questions suivantes. Je ne pense pas me tromper en disant que la très grande majorité des activités et des exercices que l'on trouve en ligne ou dans les manuels et ayant trait à la compétence « modéliser » se rattachent à l'une de ces deux catégories. Assez logiquement, j'ai essayé de multiplier ce genre d'exercices dans mes cours. J'ai pu percevoir une certaine amélioration dans les copies de mes élèves. J'avais l'impression d'avoir progressé. Cependant, la situation des élèves les plus en difficultés continuaient de m'interroger car la compétence « modéliser » semblait toujours être l'une des plus difficile à maîtriser pour eux.

Je me suis alors demandé comment je pourrais en faire encore plus, alors que le nombre d'heures de cours n'est bien sûr pas illimité. Après réflexion, il me semble qu'un des problème réside dans le fait que la compétence « modéliser » n'est jamais travaillée seule. Dans les problèmes ouverts, elle est intimement mêlée à la compétence « chercher » et comme nous l'avons dit, ce type d'activité est chronophage. Dans les exercices « types bac », bien souvent, une seule question porte sur la modélisation. Les élèves peuvent ainsi avoir l'impression que «  cela n'est pas très grave si l'on ne sait pas faire ça  » : cela ne les empêche pas de répondre à la suite de l'exercice. À l'inverse de ce que ce type d'activités induit, je pense qu'il est important de travailler la compétence « modéliser » de manière spécifique. Cela peut notamment se faire par le biais d'activités assez répétitives, basées sur le modèle des automatismes de calcul par exemple. Concrètement, cela nécessite de concevoir beaucoup de situations « problèmes » et de demander aux élèves de modéliser le problème sans le résoudre entièrement (en mettant le problème en équation par exemple ou en déterminant la suite ou la fonction associée au problème). En quelque sorte, c'est comme si l'on ne posait que la première question d'un exercice « type bac ».

Cette méthode basée sur la répétition est particulièrement pertinente pour les élèves en difficultés, parfois assez lent. Sans cela, ils n'auraient pas nécessairement eu le temps de comprendre l'utilité de l'objet mathématiques du chapitre qu'ils sont en train d'étudier. Certes, il existe normalement des activités de début de chapitre pour cela. Cependant, après avoir fait beaucoup d'exercices d'applications du cours, certains perdent un peu de vue les questions soulevées dans les activités d'introduction et c'est justement pour cela qu'ils ne savent pas modéliser des problèmes correctement. La répétition et l'automatisation apporte un élément de solution et la diversité des situations rencontrées permet par ailleurs de créer du sens : « Ah oui, une fonction, c'est utile dans pleins de situations ! ».




Nouvelle publication : à propos de quelques résultats d'Edmond Laguerre (14 août 2022)

quadrature

Le numéro 125 de la revue Quadrature est sorti. Il contient l'un de mes articles : « Perfectionnement de la règle des signes de Descartes ». J'ai rencontré cette règle des signes de Descartes lorsque j'ai commencé à m'intéresser à l'histoire des mathématiques et à l'enseignement au XIXème siècle. Si cette règle n'est aujourd'hui que peu connue des étudiants, elle l'était bien davantage à cette époque. Il existe de ce fait toute une littérature sur le sujet, de professeurs mais aussi d'élèves qui utilisent cette règle et qui souhaitent en trouver de nouvelles, plus efficaces. Par cette petite contribution, il s'agit pour moi de mettre la lumière sur des mathématiques un peu tombées dans l'oubli. Cela me donne d'ailleurs envie d'en écrire d'autres. Je pense depuis un certain temps à un mémoire d'artihmétique d'Emmanuel Carvallo que j'avais déniché en me promenant dans le sous-sol de la bibliothèque du laboratoire Camille Jordan à Lyon 1. Ce mémoire contient une démonstration du fait que tout nombre parfait est pair, question pourtant considérée comme étant toujours ouverte. Il m'a fallu un certain temps avant de trouver l'erreur, mais je ne vous en dit pas plus. Preuve en est en tout cas que l'histoire des mathématiques a beaucoup à nous apprendre.




Les inégalités de genre ne sont visiblement pas un problème pour tout le monde (13 mai 2022)

Le programme de mathématiques du tronc commun de Première est sorti ! Il y aurait sans doute pleins de choses à dire : l’absence de réflexion sur le long terme et de concertation, le caractère précipité de la mesure, etc. Un autre point est sans doute tout aussi problématique. En dernière page, une phrase évoque la question des jeunes filles en ces termes :

« Les activités visant l’acquisition d’automatismes fournissent par ailleurs des conditions de réussite rapide et mettent les élèves en confiance, ce qui peut contribuer à la réconciliation de certains, notamment les jeunes filles, avec les mathématiques.»

Elle fait d’ailleurs écho à une autre phrase similaire du document, en page 14 :

« Des exemples de ce type peuvent peut-être réconcilier avec les mathématiques certains élèves, notamment des jeunes filles, ayant une vision soit totalement « désincarnée », soit purement techniciste, des mathématiques.»

Cela est d’autant plus inquiétant que de nombreuses associations avaient pointé les problèmes d’inégalités de genre induites par la réforme en mathématiques. Elles avaient notamment expliqué que le nombre de filles faisant des mathématiques en Terminale avaient connu un recul sans précédent, non pas parce qu’elles seraient « fâchées » avec la discipline mais car, entre autre, elles avaient tendance à se considérer comme moins légitime que les garçons. Toutes ces critiques sont en fait balayées par l’institution. Ces phrases indiquent même que l’inégalité filles/garçons, plutôt que d’être combattue, sera désormais inscrite dans les programmes : aux garçons la spécialité et aux filles le tronc commun avec des questions d’automatismes pour les réconcilier avec les mathématiques. Cela pourrait porter à sourire si le programme ne donnait pas un cadre institutionnel à l’activité mathématiques de centaines de milliers d’élèves et de professeurs.




Une solidarité au combien nécessaire (31 août 2021)

En cette fin de mois d’août, les causes à défendre sont malheuresement nombreuses. L’association femmes et sciences a publié un communiqué soulignant l’urgence de la situation pour les femmes scientifiques afghanes. Voici leur communiqué :

Des femmes afghanes universitaires, diplômées ou étudiantes, sont actuellement en grand danger. Nous appelons à les accueillir en France ou en Europe.

Ces femmes afghanes représentent tout ce que le régime actuel souhaite éliminer : ce sont des femmes qui travaillent et qui contribuent à l’éducation, à la recherche et à la vie économique. Ce sont des modèles pour les générations d’Afghanes à venir. Nos collègues afghanes sont en danger de mort.

Elles sont en grave danger, elles ne peuvent plus travailler sous le régime actuel et elles sont physiquement menacées. C’est notre devoir de faire tout notre possible pour protéger celles qui représentent nos valeurs.

Chacune, dans nos universités, nos écoles et nos entreprises, nous sommes prêtes à identifier des départements d’accueil, à les accompagner pour bénéficier du programme PAUSE ou d’autres programmes, à les aider à retrouver du travail, à persuader nos présidentes ou présidents, nos directions et nos collègues de se battre pour les accueillir le mieux possible et leur offrir un environnement de travail qui leur permette de poursuivre leurs études pour les étudiantes, leurs recherches et leurs enseignements pour les universitaires, de poursuivre leur carrière professionnelle pour les diplômées.

Nous appelons toutes les personnes qui connaissent des étudiantes, des diplômées et des universitaires afghanes à entrer en contact avec nous et à nous fournir les informations qui nous aident à les identifier, à demander leur exfiltration et à préparer leur accueil dans nos universités ou nos entreprises.

Nous appelons toutes et tous les collègues qui souhaitent nous aider et contribuer à les sauver à nous indiquer quels départements, quelles universités ou quelles entreprises sont prêtes à accueillir ces étudiantes, ces professeures ou ces diplômées.

Nous appelons le gouvernement et les services de l’État à nous aider à faire sortir ces collègues d’Afghanistan et à leur accorder l’asile en France.

Par ailleurs, la Société Mathématique de France (SMF) continue d’alerter sur le sort réservé à Azat Miftakhov. Cet étudiant en mathématiques a été condamné il y a quelques mois à six ans de prison, accusé d’avoir casser une vitre dans un bureau de Russie Unie, parti de Vladimir Poutine. Au début de l’année, beaucoup avaient dénoncé un procès politique. La mobilisation est d’ailleurs loin d’être terminée. Une lettre a été envoyé notamment par la SMF à l’Union mathématique internationale, l’invitant à soutenir Azat Miftakhov (voir le dossier Azat Miftakhov sur le site de la SMF).

Toutes ces histoires prouvent en tout cas que le solidarité internationale est plus que jamais nécessaire. Elle peut d’ailleurs porter ces fruits. Cela a été le cas pour Tuna Altinel, mathématicien de l’Université Claude Bernard à Lyon. Il a été emprisonné depuis 2019 dans son pays d’origine, la Turquie, simplement pour avoir partcipé à une réunion publique à Villeurbanne critiquant le régime Turque. Après deux années de batailles, il a enfin pu revenir en France au début de l’été (voir le site du comité de soutien et une discussion très intéressante entre Tuna Altinel et Michel Broué). Cela est une excellente nouvelle. Espérons qu’il y en aura d’autres !




Une cérémonie riche en émotion (2 juillet 2021)

Cérémonie de thèse

Un an et demi après avoir soutenu ma thèse de doctorat, vient enfin le moment de la remise du diplôme. Si ce n’est pas un moment que je pensais attendre avec impatience lorsque je préparais ma thèse, le plaisir n’en est pour autant pas moins grand. Les photos avec la toge resteront. Les souvenirs également.

Au moment de recevoir mon diplôme, j’ai bien entendu penser à toutes les personnes que j’avais eu l’occasion de remercier dans ma thèse : Lara bien sûr, ma famille, mes amis, mes collègues des différents labos que j’ai eu l’occasion de fréquenter, ceux du lycée Lucie Aubrac et plus largement tous ceux que j’ai eu l’occasion de rencontrer au cours de ce travail de doctorat. Il y a mes élèves aussi. Il est clair qu’ils comptent dans ma vie mathématique d’aujourd’hui.

Finalement, ce joli moment aura concentré beaucoup d’émotions. Lorsque j’ai vu mon nom et ma photo s’afficher dans la salle, j’ai ressenti une certaine fierté mais aussi de la satisfaction. L’impression que le chemin parcouru, s’il ne pouvait être parfait, valait en tout cas le détour. Et avec cette sérénité, l’irrésistible envie d’aller voir un peu plus loin ce qui se cache dans le monde des mathématiques et de son histoire.




Résoudre un problème ouvert au X Science Camp (25 juin 2021)

X Science Camp

Comme je l’avais fait il y a deux ans, je m’apprête à participer, en tant qu’encadrant au X Science Camp de l’École polytechnique. Il s’agit d’un camp d’été d’une semaine à destination d’élèves de première qui entreront en terminale l’année suivante. L’objectif est d’alimenter le goût des lycéens pour les Sciences en ouvrant les portes d’une école prestigieuse telle que l’est polytechnique. Au programme : des mathématiques, de la physique, du sport et d’autres activités culturelles. Pour ce qui concerne la partie mathématique, il est prévu trois heures chaque matin au cours desquelles les jeunes devront résoudre un problème ouvert. Regroupés par groupe de quatre ou cinq, ils réfléchissent à un même problème sur l’ensemble de la semaine. Ce problème est dit « ouvert » au sens où il est difficile et sa résolution n’est absolument pas guidée. Souvent, les encadrants ne connaissent eux même pas de solution complète. Bien entendu, il s’agit d’un exercice assez inhabituel, pour ne pas dire déroutant, pour des lycéens à qui on apprend finalement assez peu à chercher sur le temps long. En général, les jeunes présents au camp sont tous très bons en mathématiques pour ne pas dire excellents. Leur motivation rend par ailleurs l’expérience très agréable pour les encadrants et, là aussi, relativement inhabituelle pour qui est habitué à enseigner dans le secondaire. Je ne pourrais que recommander ce camp, et de manière plus générale ce genre d’événement, aux lycéennes et lycéens qui souhaitent se tourner vers les Sciences.

En 2019, le problème ouvert que j’avais proposé était un sujet d’arithmétique. Il s’agissait de montrer que pour tout nombre impair p, il existe un entier n tel que p divise 2^n-1. Les stagiaires avaient commencer par tester la propriété sur des petites valeurs, implémentant des algorithmes sur des plus grandes puis cherchant une démonstration dans le cas général. Bien qu’ils n’aient pas réussi à conclure, il est clair qu’ils et elles avaient eu de bonnes idées et étaient parvenus à avancer dans le problème. Cette année, le camp commencera le dimanche 4 juillet et je troquerai l’arithmétique au profit de la géométrie et de la combinatoire. Le problème sera le suivant : On découpe un gâteau circulaire. Avec un coup de couteau, on obtient deux parts. Avec 2, 3, …, n coups de couteau, combien de parts (pas nécessairement égales) peut-on couper ? Cette année encore, j’ai hâte de voir quelle sera la réaction face à ce problème et comment nous pourrons, stagiaires et enseignants, avancer dans sa résolution.




Des mathématiques en anglais (12 mai 2021)

Enseigner les mathématiques en anglais. L’idée m’aurait sembler assez loufoque il y a encore quelques années et ne m’aurait surtout pas vraiment intéressée. Pour cause, j’ai toujours eu des difficultés en anglais préférant de loin les disciplines scientifiques ou même les langues latines. Au cous de mon parcours universitaire, j’ai eu très peu l’occasion de pratiquer l’anglais. En commençant mon doctorat en histoire des mathématiques, j’ai donc rencontré un certain nombre de difficultés lorsqu’il s’agissait d’écouter des conférences ou de lire des articles en anglais. Il est assez facile d’imaginer que parler dans ce genre de conférences était encore plus difficile.

Depuis maintenant deux ans, j’ai la chance de vivre avec quelqu’un parlant couramment anglais. Étant la langue dans laquelle nous communiquons, j’ai alors progressé comme je n’avais jamais pu le faire auparavant. Si bien que j’ai eu l’occasion d’écrire un article en anglais sur les conférences de mathématiques de l’Ecole polytechnique du xixème siècle. Intitulé, « Giving a Conférence at the École polytechnique at the end of the 19th century », il est paru dans les proceedings de la Sixième Conférence Internationale en Histoire de l’enseignement des mathématiques. Cela fut une joie et j’ai ressenti une certaine fierté. Pourtant, je ne peux pas m’empêcher de penser que cela aurait été plus simple si j’avais un peu mieux travailler l’anglais au lycée. Il est clair que le retard accumulé est difficile à rattraper et on a par ailleurs autre chose à faire qu’apprendre une langue lorsque l’on commence un travail de doctorat par exemple.

Cette expérience m’a beaucoup apporté. Je me suis dit qu’il fallait que j’explique aux lycéens à qui j’enseigne toute l’importance de l’anglais dans leur vie future. En même temps, leur raconter mon expérience ne pouvait certainement pas suffire : il fallait aussi leur donner du temps et de l’espace pour qu’ils s’entrainent. C’est pourquoi, l’idée d’enseigner les mathématiques en anglais à fait son chemin, souhaitant apporter pour ainsi dire ma pierre à l’édifice. Lorsque j’ai entendu l’existence d’une formation à l’Université de Créteil pour enseigner une Discipline Non Linguistique (comme les mathématiques) en anglais, j’ai sauté sur l’occasion. Ainsi, j’ai suivi cette formation et ai passé et obtenu la certification de l’éducation nationale permettant d’enseigner les mathématiques en anglais. D’un point de vue pédagogique, cela a été l’occasion de réfléchir à mes pratiques et m’a finalement beaucoup apporté. J’ai alors pris conscience que les mathématiques constituaient en quelque sorte un langage. Cela m’a par exemple amené à porter plus d’attention sur les compétences « linguistiques » nécessaires pour modéliser et résoudre un problème. C’est également à cette occasion que je me suis rendu compte que certains élèves ne faisait pas toujours le lien entre ce qui est écrit au tableau et ce que le professeur dit oralement. Pour y remédier, j’ai commencé à proposer de petites dictées à certaines de mes classes ; un type d’exercice que je compte utiliser davantage à l’avenir.

Pour ce qui est de l’enseignement des mathématiques en anglais à proprement parler, je proposerai des sortes de workshops réguliers aux élèves de première de mon lycée l’année prochaine. Un même thème centré sur l’histoire de la cryptographie sera abordé toute l’année. Cela permettra aux élèves de découvrir une part de l’histoire anglo-saxonne avec l’histoire d’Alan Turing notamment, de pratiquer leur anglais à l’oral comme à l’écrit en rédigeant par exemple des articles pour le journal du lycée, et de faire un peu de mathématiques. Autrement dit, il s’agira de faire des mathématiques autrement. Je conclurai d’ailleurs en disant que cette idée de « faire des mathématiques autrement » m’a longtemps posée question et continue de m’interroger. Si je perçois clairement l’intérêt pour des élèves qui peuvent être stressés par des cours de mathématiques, je peux m’empêcher de penser que cela les détourne des mathématiques « pures » qui personnellement m’ont toujours plu et qui plaisent à certains élèves. Concrètement, il est par exemple fort probable qu’un projet « maths en anglais » se fasse au détriment d’une préparation assidue aux olympiades, le nombre d’heures de disponibilité des élèves n’étant pas infini. Cela pose alors tout un tas de questions au passionné de mathématiques que je suis. En tout cas, et si je continue de me poser ces questions, j’ai pleinement envie de me lancer dans ce projet « maths en anglais ». Je pourrai alors tirer des bilans et je reviendrai vous voir pour vous en dire davantage !



Des mathématiques ou de l’histoire des mathématiques ? (29 avril 2021)

J’ai soutenu ma thèse de doctorat en histoire des mathématiques sur « Les répétiteurs de mathématiques à l’École polytechnique » le 12 décembre 2019 il y a maintenant plus d’un an. Si j’avais suivi un parcours assez classique de mathématiques à l’Université, en passant l’agrégation en 2014, je me suis ensuite intéressé à l’histoire des mathématiques. Le sujet de ma thèse était initialement centré autour d’Edmond Laguerre (celui des polynômes) et de ses travaux. Progressivement, étant particulièrement intéressé par l’enseignement, j’ai fait évoluer ce sujet vers celui des répétiteurs de l’École polytechnique, sorte de chargés de Tds de l’époque. Un des points positifs de ce sujet est sans doute qu’il m’a permis de rencontrer un grand nombre de noms de mathématiciens du xixème siècle. Il n’est de ce fait pas rare que, lors d’un colloque ou d’une conférence d’histoire des mathématiques, les noms qui apparaissent me soient familiers en raison de ce travail de thèse. J’ai en tout cas eu la chance d’assister et de parler à un certain nombre de colloques et séminaires, certains concernant l’histoire des sciences en général, d’autres étant beaucoup spécialisés. Parmi ceux qui m’ont marqué, j’ai par exemple suivi avec grand plaisir les cours d’histoire des sciences de l’EHESS en 2014-2015. J’ai participé par ailleurs aux Novembertagung, colloque international de doctorants en histoire des mathématiques. L’édition de 2014 m’a permis de découvrir Nancy tandis que celle de 2015, m’a emmené jusqu’à Turin. C’est notamment là bas que j’ai appris que si les exposés d’un colloque sont intéressants, les rencontres sont généralement bien plus enrichissantes encore d’un point de vue intellectuel.

Je ne citerai pas ici tous les colloques auxquels j’ai eu l’occasion de participer au cours de mes quatre années de thèse. Je retiendrai simplement qu’il s’agissait d’un moyen intéressant de nourrir des réflexions individuelles. Ayant fait le choix, tant par goût de l’échange que par conviction, de rejoindre l’enseignement secondaire, j’ai pris un poste de professeur de mathématiques au lycée Lucie Aubrac de Pantin en septembre 2018. Bien que cette tâche soit particulièrement chronophage, je continue de m’intéresser à l’histoire des mathématiques. Je me suis fixé pour objectif de publier au moins un article par an. Pour l’instant, j’ai publié en 2020 un article dans la revue Philosophia Scientiae, sur l’enseignement des équations numériques à l’Ecole polytechnique. En 2020 également, j’ai publié un article dans les proceedings du colloque d’histoire de l’enseignement des mathématiques qui s’était tenu au CIRM de Luminy. Il s’agit d’un article rédigé en anglais qui présente l’introduction de conférences à l’Ecole polytechnique dans la deuxième moitié du xixème siècle. Ce sujet est d’autant plus intéressant que des conférences ont également été introduites dans les facultés à cette même période et que c’est d’ailleurs à ce moment qu’a été créé le statut de « Maitre de conférences » dans les facultés. Pour l’année 2021, un autre texte sur les répétiteurs est en préparation. Il devrait s’insérer dans un ouvrage collectif et j’aurai sans doute l’occasion de revenir là-dessus dans ce carnet. De manière plus générale, il me semble intéressant de continuer de publier certaines idées aborder dans ma thèse tout en essayant, à moyen et à long terme, d’élargir mes questionnements.

En parallèle de ce travail en histoire des sciences, le confinement de l’année dernière m’a donné l’occasion de renouer avec les mathématiques. Il est clair qu’il n’est pas facile de recommencer à faire des mathématiques après plusieurs années de coupure. J’ai donc commencé par la lecture de deux ouvrages relativement simples et en tout cas très clairs : le premier intitulé « Arithmétique » de François Liret et le second intitulé « Théorie de Galois » de Jean-Pierre Escofier. Ces lectures m’ont redonné le goût de faire des mathématiques et m’ont en même temps permis de me rappeler à quel point il n’est pas évident de se familiariser avec des concepts abstraits. En tant que professeur de mathématiques, il est sans doute indispensable de toujours garder cette idée en tête mais on a souvent tendance à l’oublier. Depuis lors, j’ai continué de faire des mathématiques « pour moi-même ». Je me suis notamment plongé sur un problème d’arithmétique paru dans le numéro 538 de la revue « Au fil des maths » de l’APMEP. Là aussi, j’aurai l’occasion d’y revenir dans un futur article car cette expérience a été tout à fait stimulante.

Si je pouvais avoir certaines interrogations quant à ce que je voulais faire dans un futur plus ou moins proche, il est désormais clair que je souhaite développer mes idées tant en mathématique (à ma très humble échelle) qu’en histoire des mathématiques sans choisir entre les deux. Ajoutons à cela qu’un objectif central de mon travail, qui me tient à cœur, reste d’approfondir des questionnements pédagogiques. À ce sujet, j’ai participé ces deux dernières années à la rédaction de manuels scolaires de l’éditeur Lelivrescolaire.fr. Cette expérience a été riche en apprentissages et m’a donné envie de créer davantage de contenus pédagogiques. C’est d’ailleurs une des raisons qui m’a poussé à rebaptiser mon site internet « Les histoires du père Vincent ». Car finalement, ce qui me plaît dans les mathématiques, dans l’histoire des mathématiques et dans leur enseignement, c’est de partager des idées, échanger, et raconter des histoires.

PS : Je remercie Thierry Joffredo qui, en ouvrant un carnet de recherche en ligne, m’a donné l’envie de faire de même. L’idée m’a tout de suite semblé excellente.




Exercice de mathématiques des Editions Nathan: quel est le vrai problème ? (21 septembre 2017)

Cet exercice a suscité de nombreuses réactions, notamment sur les réseaux sociaux. La nature des critiques était relativement variée, mais tournait toujours plus ou moins autour d’une même idée : il est indigne de compter des migrants sans réflexion politique autour du sujet de l’immigration. Autrement dit, les migrants seraient déshumanisés par cet exercice. Certain-e-s se sont par exemple offusqué-e-s en lisant la dernière question qui demandait « d’arrondir à l’unité » le nombre de migrant-e-s arrivé-e-s sur l’île. Soyons clairs : toutes les réactions d’indignation qui se sont fait jour sont la preuve qu’il existe des idées anti-racistes largement partagées dans la société. Cela est une très bonne nouvelle. Pour autant, cette affaire pose plusieurs questions d’un point de vue scientifique et pédagogique.



Premièrement, faire des mathématiques, c’est forcément mettre la morale de côté au moment de la modélisation. Lorsque l’on souhaite modéliser un phénomène quel qu’il soit, il est nécessaire de faire abstraction du sujet en question. Les manuels de mathématiques sont d’ailleurs pleins d’exemples d’exercices relatifs à des sujets de société (sur les systèmes de vote, sur les vaccins…). Ils sont bien souvent traités de la même manière que cet exercice sur les migrant-e-s, sans qu’il n’y ait d’explications quant aux problèmes sociaux soulevés. A tord ou à raison, on considère que l’ensemble des questions politiques liées à ces exercices ne font plus partie intégrante des mathématiques. Cela n’empêche pas les enseignants de sensibiliser les élèves lorsqu’ils font l’exercice en classe. Bon nombre de profs de maths en profitent d’ailleurs pour insister sur la place des mathématiques dans les débats de société en expliquant les enjeux autour de tel ou tel résultat calculé par les élèves. Sous cet aspect, l’exercice n’est donc pas vraiment problématique.

Par contre, cet exercice est scandaleux pour une autre raison : choisir de modéliser, même de façon approximative, le nombre de migrants fuyant un pays en guerre par une suite géométrique est complètement hallucinant. Au bout de quatre ans, avec cette modélisation, le nombre de migrants arrivant sur l’île serait de plus de 40 milliards par semaine ! Mais ce calcul, l’exercice se garde bien de le faire faire aux élèves, afin qu’ils ne se rendent pas compte du problème. L’image que renvoie donc implicitement l’exercice est celle d’une invasion ou les migrants seraient, quoi qu’il arrive, toujours plus nombreu-se-s. Pourtant, en s’intéressant à des exemples concrets comme celui de la Syrie par exemple, on se rend vite compte que les flux migratoires croissent et décroissent en fonction des semaines. Cela dépend des conditions politiques du moment (intensification de la guerre, possibilités de migrations…) et n’est pas du tout une loi naturelle qui voudraient que les migrant-e-s soient toujours plus nombreu-se-s semaines après semaines. Si les Editions Nathan ont choisi de modéliser les flux migratoires par une loi géométrique, qui croit toujours de plus en plus, c’est bien à cause d’ a priori racistes. En tout cas, rien d’autre ne peut l’expliquer. Malheureusement, cette critique n’a que très peu circulée sur les réseaux sociaux. Il est bien dommage car il semble qu’il s’agisse pourtant du vrai problème.

Au final, le problème posé par cet exercice ne découle pas du fait qu’il ne faudrait pas parler des chiffres de l’immigration parce qu’ils seraient forcément déshumanisants. Le problème n’est pas non plus lié au fait d’arrondir à l’unité le résultat obtenu, opération mathématique assez courante, quand bien même il s’agit d’être humains. En revanche, le côté déshumanisant est bien lié à la formulation abstraite de l’énoncé : l’exercice parle de migrant-e-s « fuyant la guerre et arrivant sur une île ». On ne sait absolument pas de quelle île il s’agit. Et pour cause ! Cette île n’existe pas, si ce n’est dans le monde fantasmé du Front National.